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L’espèce (4) : vers une définition consensuelle

De tous temps et quel que soit le concept d’espèce, diviseurs et réunisseurs se sont opposés : les premiers ayant tendance à créer des espèces, les seconds les réunissant. Ainsi, Linné avait fait de toutes les espèces du genre Ophrys une seule espèce Ophrys insectifera. ——- ophrys-2.jpg Linné avait fait de toutes les différentes espèces actuelles du genre Ophrys, une seule espèce Ophrys insectifera. ———- A l’inverse, Alexis Jordan (1854 et 1873 dans Cuénot, 1936) identifia des types morphologiques de différentes espèces de plantes (Erophila verna, Chelidonium majus par exemple) et les cultiva par semis : il constata que les caractères morphologiques se maintenaient. Chacun de ces types étaient pour lui une espèce. Les espèces jordaniennes, aussi appelées jordanon, une fois regroupées formaient l’espèce linéenne classique (espèce définie par un type morphologique). Cependant, l’espèce jordanienne est souvent considérée comme un rang infraspécifique car il s’agit de types morphologiques isolés géographiquement (écotypes). En effet, de nos jours, les conceptions spécifiques sont plutôt larges et des notions infraspécifiques telles que les sous-espèces, les variétés et les formes sont retenues au lieu des espèces étroites. Chez l’aubépine, Crataegus laevigata, C. oxyacantha, C. oxyacanthoides, C. palmstruchii, C. curvisepala et C. lindmanii, présentes dans nos régions, sont classées en une espèce unique Crataegus laevigata regroupant différentes sous-espèces. De même, Pinus nigra, P. austriaca, P. laricio, P. pallasiana et P. salzmanii appartiennent à l’espèce large Pinus nigra.

Vers une définition consensuelle de l’espèce

Malgré les débats existant entre les 3 principales écoles conceptuelles de l’espèce (morphologique, biologique, évolutive), tous les auteurs reconnaissent que l’espèce est une notion élémentaire réelle et primordiale dans la hiérarchie du monde animal ou végétal. En outre, même si Mayr prône le concept biologique de l’espèce, il considère une vaste panoplie d’outils pour délimiter les espèces isolées géographiquement : morphologie, géographie, écologie, comportement et biologie moléculaire. Cette approche ressemble à la discipline nouvelle intégrant systématique morphologique et systématique moléculaire appelée NEM (New Evolutionary Morphology ou Nouvelle Morphologie Evolutive) présentée dans l’article de Jérôme Degreef, Elmar Robbrecht & Erik Smets. De telles approches ont déjà été effectuées sur les espèces du genre Camassia (Gross & al., 2001) ou du genre Tetraplasandra (Costello & Motley, 2001). L’analyse combinée de données morphologiques, moléculaires et biogéographiques a permis dans ces études de séparer les espèces et de distinguer, par exemple, les caractères plésiomorphologiques (morphologiques “archaïques”) qui étaient en fait des caractères dérivés : par exemple, l’ovaire supère (caractère supposé “archaïque”) dérive d’un ovaire infère (caractère supposé “évolué”) chez Tetraplasandra. L’histoire biogéographique des espèces de Cercis menée grâce à une analyse DIVA (DIspersal Vicariance Analysis) et combinée à des analyses moléculaires a permis de connaître l’historique de la spéciation de ce genre (Fritsch P. W. & al., 2001). —–

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—– Bibliographie Costello A., Motley T.J., 2001. Systematics of Tetraplasandra group (Araliaceae) using molecular and morphological data. Botany 2001 Abstracts pub. Botanical Society of America. Cracraft J., 1989. The empirical consequences of alternative concepts for understanding patterns and process of differenciation. In Speciation and its Consequences. Ed. D. Otte & J.A. Endler. Sinauer, Sunderland : 28-59. Cronquist A., 1968. The evolution and classification of flowering plants. New York Botanical Garden, Bronx, New York. Cuénot L., 1936. L’espèce. G. Doin & Cie. Fritsch P.W., Davis C.C., Li J., Donoghue M. J., 2001. The phylogeny and historical biogeography of Cercis : evidence from ITS and ndhF DNA sequences. Botany 2001 Abstracts pub. Botanical Society of America. Gross B., Rollenhagen K., Mellor J., Kephart S., 2001. Species boundaries in Camassia : analysis of a putative hybrid zone. Botany 2001 Abstracts pub. Botanical Society of America. Jordan A., 1854. Diagnoses d’espèces nouvelles ou méconnues pour servir de matériaux à une flore réformée de la France et des contrées voisines. Jussieu de A., 1852. La botanique. Langlois et Leclercq & Victor Masson. Mayr E., 1942. Systematics and the Origin of Species. Columbia University Press, New-York. Mayr E., 1996. What is a species and what is not ? Philosophy of Science, 63 : 262-277. Queiroz de K., Donoghue M J,1988. Phylogenetic systematics and the species problem. Cladistics 4:317-338. Remane A., 1927. Art und Rasse. Verhandl. Ges. Phys. Anthrop., 2 :2. Simpson G. G., 1961. Principles of animal taxonomy. Columbia University Press, New-York. Templeton A. R., 1989. The meaning of species and speciation ; a genetic perspective. In Speciation and its Consequences. Ed. D. Otte & J.A. Endler. Sinauer, Sunderland : 3-27. Van Valen L., 1992. Ecological species, multispecies, and oaks. The Units of Evolution: Essays on the Nature of Species. Ed. M. Ereshefsky, MIT Press, cambridge MA : 69-77. Wiley E. O., 1978. The evolutionary species concept reconsidered. Systematic Zoology, 27 : 17-26.